Jour 6 – Maintenant l’intolérable

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Pour une meilleure compréhension, voici un peu plus de précisions sur ce qui concerne le volet ‘orphelinat’ ici à Galle. Le Senehala Girls Orphanage, le Ruhuna Children’s Home et le Ruhuna Children’s nursery class sont tous situés dans le même complexe, mais dans des bâtiments différents (ci-dessous photo de l’extérieur). Le Senehala Girls Orphanage abrite les filles abusées, violées, etc. J’en ai parlé vendredi dernier. Le Ruhuna Children’s Home regroupe les bébés naissants jusqu’à 2-3 ans. Tant qu’au Ruhuna Children’s nursery class (pavillon central sur la photo), il regroupe les ‘toddlers’, les enfants âgés de 3 à 6 ans. Trois volontaires assistent le professeur une fois semaine, soit le mardi matin. J’y suis assignée ce matin avec Maja et Nick (jeune couple début vingtaine), première présence pour eux également à cette activité, mais Nick travaillera dehors sur les balançoires. Ce matin, j’entre en enfer.

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À notre arrivée, les enfants, une vingtaine (une seule fille), sont dans un petit local dans lequel se trouve un îlot de jeux rempli de ballons de toutes les couleurs, un peu comme l’on retrouve dans les restos avec aire de jeux pour enfants. Ils sont en train de réciter (plutôt hurler) une prière devant la statut de boudha. Maja et moi donnons donc l’exemple en prenant la posture de prière, mains jointes comme le boudha. Une fois terminée, nous quittons cette pièce et nous rendons à l’avant du bâtiment. Une petite annexe a été ajoutée du côté gauche. Nous y entrons dans la cohue par une porte d’aluminium non-vitrée. La pièce est plus petite que ma chambre à la Mission. Quelques petites tables et chaises sont bien rangées. Une porte au fond à droite, donne accès à une autre pièce dans laquelle beaucoup de jouets sont rangées dans une grande étagère.

À peine ai-je déposé le matériel apporté pour faire du bricolage (pot à compartiment avec une trentaine de crayons à colorier, un autre contenant d’une trentaine de crayons de cire, 3 cahiers à colorier, autre cahier avec des collants de toutes sortes), que tous les crayons sont violemment lancés dans toutes les directions, les pages des cahiers à colorier sont déchirées et lancées par terre, les chaises également, les enfants se battent entre eux, se mordent, 5-6 d’entre eux hurlent en se roulant par terre… Maja et moi on se regarde, nous sommes en enfer!

La professeure (davantage une matronne) regarde tout cela un temps, puis crie plus fort qu’eux… sans succès. Elle regarde les deux petites nouvelles volontaires avec un sourire qui en dit long. Maja me dit: Essayons de les calmer un à un. Je replace quelques chaises, ramasse une poignée de crayon et pages déchirées. Je m’installe près d’un enfant qui semble être à l’extérieur de tout ce qui se passe. Je lui remets des pages à colorier et crayons. Il me sourit… ouf… Arrive un autre enfant qui se met à hurler, nous arrache tout le matériel, l’autre enfant se met à hurler… Au bout de 20-30 minutes, Maja me dit qu’elle sort pour aller boire de l’eau. Elle ne reviendra pas. Je reste donc seule avec ces enfants d’une violence inouie.

La professeure n’enseigne rien. Elle tente possiblement d’éviter le pire. Je l’aperçois tout à coup avec une règle en main, frappant un enfant sur le bras, bras avec lequel il protège sa tête. Elle s’approche d’un autre et dès qu’elle lève sa règle, il se protège également la tête avec les deux bras. À ce moment, elle réalise que je la regarde horrifiée et lui fait frénétiquement ‘non’ de la tête. Je sors à mon tour pour aller chercher ma bouteille d’eau et prendre l’air, car toutes les fenêtres de cette pièce sont fermées. Il y fait donc très sombre et l’air, humide et rempli de vapeur d’urine forte, devient insupportable.

Trois femmes européennes âgées dans la soixantaine, sont assises sur un banc à ma sortie du local. De l’extérieur, le bruit émanant de cette pièce me fait penser à ces hurlements entendus toute jeune à la porcherie de mes oncles lorsqu’ils enlevaient les couilles aux petits cochons. Elles me regardent et me demandent ce qui se passent de l’autre côté de cette porte. Je leur réponds simplement que l’enfer existe et part à la recherche de mon sac à dos pour retrouver ma bouteille d’eau. J’aperçois au loin à l’autre bâtiment des bébés, Maja jouant avec un bébé. Je me dis à cet instant, que je ne peux la blâmer. Elle a 19 ans.

À mon retour, les trois femmes me demandent si elles peuvent m’aider. SURE!! Elles entrent donc avec moi. Elles repartiront au bout de 10 minutes. L’une d’elles s’est presque fait arracher son chandail.

Il n’y a pas de toilette dans ce local. Les enfants commencent à uriner, et déféquer pour quelques-uns, dans leur culotte. Nous avons tous vu et/ou eu à gérer la colère d’un enfant ou sa perte de contrôle. Ce que je vois ici, c’est tout autre chose: de la rage, de la haine dans le regard. Des animaux sauvages. L’un d’entre eux tente de me mordre, je l’évite de justesse. Un autre me grafigne au sang sur un avant-bras. Alors que je suis penchée sur un enfant attablé pour l’aider à colorier, je reçois violemment dans le dos un gros camion en plastique d’au moins 4-5 livres. Je me retourne, regarde le camion, puis le garçon, je lui souris… Je pense qu’il est plus surpris que moi.

Nous les amenons pour une pause – verre d’eau – à l’autre bout du bâtiment, ce qui me permet de voir leur dortoir. J’en ferai la description à un autre moment. Retour dans le local ou plutôt – la zone de guerre. Je croise une volontaire de Vancouver, Brie – 20 ans. Elle est seule de son organisme et ne sait quoi faire. Elle m’accompagne donc au local. Au bout de 5 minutes, elle vient me voir et me dit: – This is not normal! Elle est au bord des larmes, ahurie. Je ne sais pas quoi lui répondre autre que – thanks to help me.

Vers 11h15, la professeure me dit:
Now, you clean!
– Yes, teacher.

——-
Note 1: Vous comprenez qu’il n’est pas possible de photographier ces endroits de l’intérieur si présence des enfants, et que je ne suis pas en mesure de faire de la belle photographie tous les jours.

Note 2: Mon propos sur ma matinée est un peu long, alors je reviendrai à un autre moment sur mon après-midi au Ruhuna Children’s Home.

Note 3: Excusez les fautes, j’en vois quelques-unes lors de relecture.

8 réflexions sur “Jour 6 – Maintenant l’intolérable

  1. Hélène Dupont dit :

    Salut Louise,

    C’est le meilleur récit que je lis en ce moment… Je suis touchée, sidérée et en même temps, je continue de croire que grâce à toi un petit coin sur terre tu es là pour un de ces enfants à lui
    offrir quelques instants de bonheur dans sa vie!!!

    J’en suis sans mot tellement je t’accompagne …

    Je te fais un gros câlin pour t’aider à continuer ton extraordinaire volontariat!!!!!!

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  2. Jessica dit :

    Je ne peux pas partir le matin au travail sans te lire… et depuis 2 jours, j’ai les larmes aux yeux à la fin de ma lecture… Je suis en pensée avec toi et je t’encourage dans la continuité de ce bel engagement humanitaire! J’apprends à connaître des facettes de ma marraine encore inexplorées.. et J’ADORE ça!! hihi! Je T’aime! xxx

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  3. Claude Proulx dit :

    Nous sommes avec toi par la pensée. Bon courage dans ce contexte, tu es une femme forte même si tu es toute délicate. Nous apprécions ton engagement pour nous faire découvrir toute cette misère qui
    ne devrait pas exister.
    Tout notre amour t’acompagne, merci pour un si bon reportage.

    Au prochain reportage tant attendu.

    Anita et Claude xxooxx

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