Beaucoup de volontaires retournaient dans leur pays au cours des deux dernières semaines. Certains se plaignaient d’être trop nombreux pour le travail à faire au Centre mais là, à trois volontaires plein temps et deux à mi-temps, on chôme pas! Je fais équipe avec Atou (infirmier), Sarah et Elena aux daaras. Nous préparons également deux sacs de pulls pour en faire la distribution. Nous en donnons plusieurs dans la première daara, les pulls avec capuchon ont la cote.
De plus grands talibés (photo du haut), adossés à un mur, copient des textes coraniques. Ils le font sur une tablette de bois qui peut être réutilisée ou effacée par un simple sablage de surface. La fabrication de l’encre se fait à partir de la suie récupérée dans les fours au charbon; elle est diluée ensuite avec de l’eau et de la colle. Le crayon, taillé dans un bois de type bambou au centre creux, a la pointe sculptée telle une plume pour encrier.
À notre deuxième daara, de nombreux enfants nécessitent des soins. Il est rare qu’un enfant ait qu’une seule plaie. Au bout d’un moment, je me rappelle que lors de ma première visite ici la semaine dernière, un enfant au crâne fraîchement rasé pour éradiquer une infestation de poux, avait de nombreuses plaies. Je demande à Atou:
– Dis donc, la semaine dernière j’ai soigné un enfant avec la tête recouverte de plaies à cause d’un problème de poux. Je ne le vois pas ce matin en attente pour des soins. Peux-tu voir s’il est dans les parages?
– Oui, mais c’est qu’il doit pas être là. Je vais voir.
Il entre dans une des salles de cours et reviens avec le gamin.
– Hey merde! Il a la tête recouverte de pus!!
– Oui c’est tout infecté. On va devoir lui donner des antibiotiques.
– En a-t-on avec nous?
– Non, on en apportera vendredi.
– Vendredi?? Mais c’est dans cinq jours! Nous sommes que lundi! Peut-il venir au Centre demain pour les prendre?
– Oui d’accord. Je lui dis.
Le jeune talibé s’agenouille devant moi. Je m’attèle à la tâche de nettoyer toutes ces plaies (au moins une vingtaine). Je remarque qu’il tient quelque chose en boule entre ses mains. Je lui demande de me montrer… C’est un chapeau type Guilligan, autrefois blanc, couvert de crasse. Je regarde l’intérieur avec incrédulité, c’est tout couvert de taches de pus et de sang!! J’appelle Atou, lui montre le chapeau et lui demande de traduire au garçon qu’il ne doit plus porter ce chapeau tant qu’il a ces plaies à la tête.
Nous rentrons au centre vers 12h30; Rebecca s’y trouve – très déçue. Le superviseur pour sa mission en micro-finance est en vacances jusqu’à jeudi. Lors de la réservation de son séjour de mission, elle avait accepté de faire une semaine de soins au centre en attendant le retour du superviseur. Mais là, trois jours de plus… elle est plus capable. Certains volontaires n’arrivent pas à aller dans les daaras de talibés. Et j’avoue que, contrairement au Sri Lanka, ici à chaque jour, à chaque daara, à chaque enfant à soigner, je m’étonne de voir surgir en moi la force nécessaire pour soigner les plaies que me dévoile l’enfant, l’une après l’autre. Mais cette après-midi….
Je dois aller faire les achats des sandales, nattes et couvertures avec Atou. Mais étant peu de volontaires, je demande à Rebecca si elle veut aller faire les achats (elle se fait pas prier :-)) et j’offre à Atou d’assurer la permanence à l’infirmerie, Amina étant en vacances pour la semaine. Ils seront de retour dans une heure, une heure trente. Une équipe réduite part avec Général aux daaras. Et s’il se présente un cas d’urgence, je peux contacter Atou sur son cellulaire.
Donner des soins à un enfant en toute tranquillité, c’est mission impossible. Que ce soit aux daaras ou à l’infirmerie, il y a presque autant d’enfants que de mouches qui tournent autour du soignant. À l’infirmerie, ils se collent à la fenêtre extérieure pour observer ce qui se passe et faire plein de commentaires au jeune que tu soignes; à l’intérieur ils se placent autour de nous, je les chasse vers la salle d’attente adjacente, mais ils reviennent en douce au bout de quelques minutes.
– Allez ouste! Dans la salle d’attente!
– Il est mon ami! Oui, moi aussi c’est mon ami!
– Oui, oui, c’est assez les amis, allez dehors! Et ils rigolent tous! J’aime tellement les faire rire.
Mais ça sert à rien, ils reviennent… comme les mouches! 🙂 Je serais pas surprise que certains petits comiques compétitionnent sur « qui aura le plus de bandages en sortant de l’infirmerie »! Ce sont davantage les enfants du quartier qui viennent au centre que les talibés. Ceux-ci parlent un peu plus français et sont beaucoup moins gênés. Je donne des pulls à deux gamins fort heureux de leur visite à l’infirmerie. Environ quinze minutes plus tard, sept ou huit jeunes attendent dans la salle de soin. Ils me font une bonne frousse, car ils ne viennent pas pour des soins mais pour des pulls. Je leur demande de revenir plus tard.
Deux marabouts se présentent avec un talibé. Un grand bandage tout propre couvre son genou et une bonne partie de sa jambe sous le genou. Ils me parlent en wolof… Au moment où j’installe le petit dans la chaise pour découper son pansement, je vois Atou et Rebecca revenir du marché.
– Atou, peux-tu venir tout de suite, j’ai besoin d’un traducteur.
– J’arrive!
Il parle avec le marabout.
– Tu te rappelles, c’est le gamin à qui on a fait des points la semaine dernière.
– Oui, je l’ai vu au daara. Général avait refait son pansement. Toute une coupure!
– Il veut que je refasse les points parce qu’ils sont lousses (relâchés pour les non-québécois). On retouche pas à ça, c’est normal, les enfants courent et les points deviennent moins serrés.
– Je comprends pas Atou…Je l’ai vu mardi dernier, ça fait une semaine aujourd’hui. Comment se fait-il qu’il ait un pansement tout propre?? Atou demande au marabout.
– Il ne sait pas.
– Bon écoute, le petit est là. Je vais ouvrir son pansement, nettoyé et en refaire un autre.
– D’accord!
Tout en parlant au garçon, j’enfile mes gants, prends le ciseau et tout doucement je découpe le pansement à l’arrière du genou, car je me rappelle que les points couvrent tout le devant de la jambe de gauche à droite juste sous le genou. Le pansement se détache tout seul dès le dernier coup de ciseau. Je me lève d’un bond en criant! Il n’y a plus de point, la plaie est béante, ouverte sur environ 6 pouces par 2 pouces de large, les rebords énormes et roulés, je vois l’os au bas du genou.
– Atou!!! Vite viens!!!
– Merde… Bon, je vais refaire les points. Je vais anesthésier, mais je dois d’abord aller acheter du fil.
– Quoi?? C’est pas vrai!! J’en reviens pas! On peut même pas avoir un bout de fil en réserve pour les urgences??
Il part sans me répondre. Il a bien raison, il y a plus urgent. Je recouvre la jambe du petit et m’en veux un peu de ne pas avoir pu contrôler mon cri d’horreur et de surprise. Rebecca entre dans la pièce, elle veut voir la plaie, mais je la mets en garde. Je vois son teint changé et il me vient la pensée que je dois avoir ce même visage livide. Elle lui donne un biscuit. La colère monte en moi pour la première fois: on a failli le retourner au daara sans regarder sa plaie et on a pas de fil à recoudre en stock pour au moins UNE intervention.
Atou revient. Il prépare son matériel, désinfection du plateau d’instruments, des instruments eux-mêmes, etc. Il remplit sa seringue d’anesthésiant. Rebecca et moi entourons le petit, mais au moment où il pique l’aiguille dans la chair ouverte, le gamin se déchaîne telle un hyène! Nous sommes quatre ou cinq maintenant pour le maîtriser le temps qu’il pique à différents endroits au pourtour de cette grande ouverture; j’immobilise de tout mon poids sa jambe meurtrit. Le sang coule à flot au sol. Il prépare l’aiguille et le fil, le petit hurle toujours. Je dis à Atou que nous arriverons pas à le tenir sans aide. Il part chercher quatre grands talibés dans la classe de français. Nous nous en allons toutes à l’extérieur, éberluées, aucune ne parle – la fenêtre de l’infirmerie donne sur la rue à côté de la sortie. Les hurlements nous arrivent comme si nous étions à côté. Cela durera un bon quinze minutes.
L’équipe de terrain arrive, ce qui me permettra de comprendre le mystère du bandage propre. Ils ont vu l’enfant au daara pour refaire son pansement et ont vu que les points avaient lâchés. Général a refait un bandage et donné de l’argent au marabout pour qu’il amène le petit à l’infirmerie. On se saura jamais s’ils sont venus en taxi ou à pied. Le petit sort enfin, soutenu de chaque côté, en boitant. Les volontaires le font asseoir avec elles pour le consoler et lui redonner d’autres biscuits. J’entre pour nettoyer l’infirmerie avec Atou. On jasera de tout cela demain…
Je passe chez Rebecca pour rencontrer son père d’accueil, Jean, afin de faire les arrangements pour un échange de dessins faits par des élèves d’une école internationale à Greenfield Park. Il est directeur d’une école primaire sur l’île. Nous convenons donc d’une rencontre avec les élèves le 7 janvier pour que nous fassions le jumelage des enfants. Il se dit heureux de cette initiative et j’en suis enchantée, car il est juste impossible de faire du jumelage avec les jeunes talibés. Je l’ai compris dès que j’ai vu leur milieu de vie.
Ce fut une journée très difficile. J’ai pas le goût d’écrire alors je vais au lit plus tôt en m’efforçant de penser uniquement à la joie des enfants lorsqu’ils reçoivent des vêtements chauds.
Courage Louise!! Joyeuses Fetes de l’autre bout du Monde! Xx
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Allo chère Ansa,
J’ai essayé de te rejoindre par Skype le 25 alors que nous étions chez Fina avec les « gentils fous furieux ». Mais tu n’étais pas au bout de ton ordi… 🙂
Bisous et à bientôt! xxx
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Mon Dieu Seigneur Jésus Marie … si tu voyais tout le gaspillage que l’on peut voir dans nos beaux hôpitaux québécois !! Et oui , tu devrais avoir un » kit » de pansements , antibio, en réserve en cas d’urgence. Bonne idée ! La réserve pourrait se faire petit a petit chaque semaine ! Hey c’est Noel !! J’ t’ embrasse … du bon bord !! Salutation de Louise et mon fiston . Ce dernier quitte pour l’Europe le 28 déc. et cela pendant un mois avec sac a dos ! bye bye XX
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Merci mon beau Pierre! Bisous à toute la famille, oh et merci pour ton dernier courriel, je le fais lire à qui de droit!
Louise xxx
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Joyeux Noel Louise et te souhaite santé et bonheur xx
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Merci Lucie et je t’en souhaite tout autant!
Louise xxx
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Joyeux Noël Louise nous pensons souvent à toi .Tu es d’une extrême générosité.Bravo!
Anita se joint à moi pour te souhaiter bonne continuité.
xxooxx
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Très précieux oncle,
Je pense souvent à vous deux, et en particulier depuis notre conversation de ce soir. Je vous enveloppe de toute ma tendresse. Je vous aime tant!
Louise xxx
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Quelle tristesse et en même temps quelle joie pour ces enfants que tu leur offres une si grande part de toi. Ils en ont bien besoin. Continue ton super travail. Je crois que ça ne s’appelle pas « travail » mais plutôt, générosité et don de soi.
Merci pour eux et Joyeux Noël XXX
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Si tellement facile d’être auprès de ses enfants, et si difficile d’observer leur réalité.
Gros bisous à toute la famille!
Louise xxxx
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Cela ne doit pas être facile de penser à Noël avec de telles réalités, mais on peut souhaiter que 2014 apporte du bon dans la vie de tous ces talibés … ça commence déjà bien pour eux puisque tu es là ;o) Je te souhaite un bon Noël Louise xxxxx
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Très beau Noël à toi et ta famille!
Bisous xxxx
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Joyeux Noël ma tante !!!! Xxx
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Merci beaucoup Guillaume! Pareillement à Geneviève, Kélia, William et… toi, bien sûr! Bisous et câlins xxx
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Ouf, tiens bon et bon courage,
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